La Vie au Ranch / Sophie Letourneur / Interview de Sophie Letourneur à Belfort



La Vie au Ranch est votre premier long métrage de plus d’une heure après deux courts et un moyen. Est-ce un projet récent ou le scénario a t-il été écrit plus tôt, puisque le film semble s’inspirer d’un moment de votre vie ?

L’écriture a débuté en 2007 de manière assez naturelle mais l’idée est plus ancienne car déjà mise en scène dans un premier court, La Tête dans le vide, dans lequel on retrouvait les trois principales protagonistes interprétées par moi-même et deux amies au Ranch, chez moi, autour d’une histoire de coup de fil réellement vécue.

L’histoire de ce film semble très personnelle, presque intime, avez-vous réellement vécu toutes ces situations dans votre propre vie ?

Oui, mais certaines situations ont été transposées car je ne voulais pas non plus trop coller à ma réalité, par exemple j’ai failli partir à Berlin mais je ne l’ai pas fait comme dans le film, je me suis arrêtée dans le 14e arrondissement… Les choses sont aussi assez différentes car le groupe de filles que j’ai choisi pour l’interprétation existait déjà, elles m’ont donné un peu de ce qu’elles étaient et m’ont aidé à me détacher de ma propre histoire, au final c’est un mélange de réalité et d’adaptation. Je choisis des gens qui ne sont pas comédiens mais qui me ressemblent au moment où je vivais à cet âge, je les mets en situation et j’aime qu’ils s’approprient mon histoire, c’est une façon de m’en débarrasser, de m’en déposséder, d’évacuer quelque chose en disant voilà, ce sont des périodes que j’ai vécu, elles appartiennent à tout le monde et à personne à la fois.

Et ensuite vous passez à autre chose…

Oui, pour le moment tout s’est fait assez spontanément et à chaque fois il y a un lien, les derniers plans de mes films annonçant le suivant. Pendant le tournage j’ai l’impression d’avancer personnellement et dans ma mise en scène, je me projette toujours à la fin d’un film vers le prochain, malgré moi.

Avez-vous écrit le scénario de manière très précise ou avez-vous laissé une part d’improvisation aux comédiennes pendant le tournage ?

Il n’y a aucune improvisation au tournage et le scénario a été construit en plusieurs étapes : j’ai d’abord écrit un séquencier qui collait à ma vie et lorsque l’on voit le film aujourd’hui on retrouve toutes les scènes de ce séquencier, avec quelques dialogues supplémentaires que j’avais repêché dans mes archives personnelles. Ensuite, lorsque j’ai trouvé le groupe, j’ai réadapté le scénario aux filles, qui sont de vraies amies dans la vie. L’étape suivante a été de créer un dispositif d’écriture qui mette en situation le groupe dans les scènes préparées du séquencier, de tout enregistrer pendant des heures de répétition en leur donnant des pistes de travail et en leur expliquant la narration. A partir des 4 à 5 heures de son captés sur chaque scène, j’ai récupéré les moments les plus intéressants et les plus drôles et je les ai montés avec un logiciel de son. La bande son ainsi créée était copiée sur CD puis distribuée aux filles qui apprenaient par coeur leur texte à partir de ce support. Le groupe étant constitué comme un corps, il est important pour moi que les phrases s’entrecoupent, se chevauchent, qu’il y ait une simultanéité maitrisée du son et des dialogues. Les filles n’avaient plus alors qu’à répéter ensemble le CD, au même titre qu’une partition ou une chanson. Je préfère que ce soit bien préparé plutôt que de filmer en continu et de faire des impros au moment du tournage, ça n’est pas mon truc.

Le montage était donc déjà bien avancé avant même le tournage !

En effet, il a été assez rapide mais il restait tout de même un certain nombre de coupes à faire, pour que le film ne dure pas 5 heures… Je travaille avec le même monteur depuis le début, il me connait très bien et nous ne revenons jamais en arrière, ce qui est un véritable gain de temps. Nous ne profitons pas du montage numérique et continuons de travailler à l’ancienne !

Au début du film, le spectateur est complètement intégré à l’action mais dispose de peu de pistes pour identifier les personnages. Qui est vraiment le personnage principal de cette fiction ?

C’est vrai que le spectateur est jeté dans la fosse au lion, un peu perdu, il ne sait pas qui est qui. La bande agit comme le premier personnage du film et personne ne peut vraiment s’en dégager. Le ranch est à la fois le cocon et le carcan du groupe. Mais c’est surtout l’histoire d’un départ, celui de Pam, le mien. Parfois ça se passe en douceur et tout va bien, dans mon cas la rupture a été plus brutale. Dans la bande il y a quelque chose de chaud, de doux, de rassurant mais en même temps ça devient vite insupportable et étouffant, provoquant l’idée de rupture.

On sent dans le film le moment où se précise cette idée, lorsque les filles partent dans les montagnes auvergnates. Cette escapade est-elle une forme de respiration ?

Je ne l’ai pas pensé en tant que respiration mais lorsque j’ai commencé à me disputer avec mes amies nous sommes parties dans cette maison de campagne et la tension était davantage due au silence. A partir du moment où il n’y a plus le flot incessant de leur vie parisienne, elles se retrouvent faces à elles même et cela devient angoissant. Elles sont détachées de leur environnement habituel, avec leurs codes, leurs private joke et toujours ce même truc qui tourne en boucle. Le fait de les déplacer dans d’autres contextes crée des problèmes, des incompréhensions, des conflits. C’est peut être aussi un soulagement pour le spectateur de sortir de leur vacarme épouvantable à partir du moment où Pam dit qu’elle n’en peut plus de la vie au Ranch. Quelque chose se dégonfle, quelque chose est mort et pour moi c’est comme si je commençais un deuxième film.

C’est donc à ce moment que se dégage le personnage fort du film ?

Pam se distingue alors comme personnage puisqu’elle quitte le groupe mais elle n’a pas encore les armes pour en devenir vraiment un, il lui reste du chemin à parcourir. Elle souffre du fait que les autres n’acceptent pas ses différences, elle est plus trash, plus fragile, elle se cherche encore, c’est ce que j’ai voulu exprimer en lui donnant ce rôle d’artiste dans les derniers plans à Berlin. Quelque chose est un peu bâtard pour elle dans cette fin de film, c’est ce qui m’intéresse car ça prépare aussi le prochain film de façon toujours très spontanée, comme une forme de suite avec d’autres personnages, qui collera à d’autres périodes de ma vie.

(propos recueillis par Vincent Courtois)